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Lio's blog
17 janvier 2009

Water, sacrée water

«La surfaim inclue la sursoif. Je me découvrit très vite une propriété formidable : la potomanie.
Adorer l'alcool ne m'empêchait pas de vénérer l'eau, dont je me sentais si proche. L'eau s'adressait à une autre soif que l'alcool ; si ce dernier parlait à mon besoin de brûlure, de guerre, de danse, de sensations fortes, l'eau, elle, murmurait de folles promesses au désert ancestral contenu dans ma gorge. Si je descendais un rien en moi, je rencontrais des territoires d'une aridité sidérante, des berges qui attendaient la crue du Nil depuis des millénaires. Avoir la révélation de cet étiage me donna toujours la soif de l'eau.
Les textes mystiques regorgent de soifs inextinguibles : c'est énervant, car c'est une métaphore. Dans les faits, le grand mystique buvait au creux de ses mains quelques gorgées d'une source ou de paroles divines, et puis c'était fini.
J'appris une soif qui n'avait rien de métaphorique : quand j'avais un accès de potomanie, je pouvais boire jusqu'à la fin des temps. A la fontaine des temples, là où l'eau sans cesse renouvelée était la meilleure, je remplissais continuellement la louche de bois et je buvais le miracle mille fois ressourcé. L'unique limite était ma capacité, qui était immense : on n'imagine pas ce que contiennent ces petits jerricans.
Ce que l'eau me disait était magnifique : "Si tu veux, tu peux tout boire. Il n'y a pas une gorgée de moi qui te sera refusée. Et puisque tu m'aimes tant, je te donne une grâce, celle d'avoir envie de moi tout le temps. Contrairement à ces pauvres gens qui cessent d'avoir soif à mesure qu'ils boivent, toi, plus tu me boiras, plus grand sera ton désir de moi, et plus vif ton désir à l'assouvir. Un sort fabuleux a voulu que je sois pour toi le souverain bien, et précisément celui dont l'absolue générosité te serait accordée. N'aies pas peur, personne ne viendra te dire d'arrêter, tu peux continuer, je suis ta prérogative, il est écrit que je te serais octroyée sans mesure, à toi seule qui recèles assez de soif pour me réjouir."
L'eau avait le goût de pierre de la fontaine : c'était tellement bon que j'aurais crié si je n'avais eu toujours la bouche pleine. Sa morsure glacée me tressaillait la gorge et me mettait les larmes aux yeux.
[...]
Pour moi, le temple était la fontaine, et boire était la prière, l'accès au sacré. Et pourquoi se contenter d'une gorgée de sacré quand il y a tout ça à boire ? Parmi les beautés, l'eau était la plus miraculeuse. C'était la seule que l'on ne consommait pas uniquement avec les yeux et qui pourtant ne diminuait pas. Je buvais des litres et il en restait toujours autant.
L'eau désaltérait sans s'altérer et sans altérer ma soif. Elle m'enseignait l'infini véritable, qui n'est pas une idée ou une notion mais une expérience.
Nishio-San priait sans conviction. Je lui demandait de m'expliquer la religion shinto. Elle hésita, puis sembla décider qu'elle n'allait pas s'encombrer de longs discours, et me répondit :
- Le principe, c'est que tout ce qui est beau est Dieu.
C'était excellent. Je trouvai étonnant que Nishio-San ne fût pas plus enthousiaste. Par la suite, j'apprendrais que ce principe avait élu pour suprême beauté l'Empereur, qui était plutôt moche, et je compris mieux la molesse religieuse de ma gouvernante. Mais à cette époque je ne le savais pas, et j'incorporai aussitôt ce principe, comme j'incorporais le sacré qui était l'eau.
Incorporation transitoire : de retour à la maison, je m'installais aux toilettes et je devenais la fontaine.»

eau_goutte

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