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Lio's blog
3 novembre 2008

...

Dans une taille oubliée
Je jette des débris de charbon.
Ici c’est un esprit de mort,
Ici on respire la mort,
La terre elle-même suffoque.

Les derniers boisages pourrissent,
Un ciel défunt s’écroule,
Tombant en poussière et cendre,
Je veux rêver jusqu’au bout.

Je veux être plus jeune que toi
Tandis que je respire toujours,
Âme peau de chagrin
Âme rendue et lasse.

Je suis vivant, pas avec mon pain
Mais au froid, le matin,
Quand d’un coin de ciel glacial
Comme dans une rivière je me rafraîchis.

Varlam Chalamov,

Cahiers de la Kolyma et autres poèmes,

traduit du russe par Christian Mouze, Maurice Nadeau, 1991, pp. 31 et 65

1lupuz1n


Gaietés lyriques

Si vous cherchez bien
Vous verrez
Des visages
L’enfer s’y promène
Si vous cherchez mal
Vous saurez
Où surnagent
Nos âmes sereines
Le caméléon de l’amour
Y change ses couleurs fauves
La tristesse de vivre ici
Ferme l’œil bête des alcôves
Nous n’irons plus au bois
L’été
Ressemble trop au carnaval
Danse de mort
Squelettes vains
Nous n’irons plus ; le mal lointain
S’est à nouveau pris dans nos pièges
La vie est un bouchon de liège
Elle flotte au gré des humeurs
Mais n’entend plus l’humble rumeur
De l’éternel qui passe vite
A travers nos cœurs désertés.

Georges Perros, Poèmes bleus, Gallimard, 1962, p. 97


bougie

Comment j’ai vu tomber une feuille

Si je ne m’étais pas retourné vers
les rameaux en partie déjà
nus, alors la vue
de la feuille
tombant lentement
dorée, issue de l’été
profus
M’eût échappé. Cette chose
belle, je ne l’aurais pas vue, et cette chose, dorée,
apaisante et ravissante,
raffermissante pour l’âme, ne l’aurais pas éprouvée. Regarde
souvent en arrière s’il
t’importe de rester toi-même.
Regarder en avant ne suffit pas.
Ils n’ont pas tout vu, ceux qui n’ont pas regardé autour d’eux.

Robert Walser, Poèmes, trad. Marion Graf, Zoé, 2008, pp. 48/49


feuille_morte_platane_3572

Qu’est-ce que c’est ?
Nous ne le savons pas. Nous bâtissons
à mains nues, l’illusion qui nous sert
de seuil. Dans la chair, cela
entre, cela devient nous, entends
le cri des fantômes dans la chair.
Qu’est-ce que c’est ?
Nous ne le savons pas.
Cela revient, cela dessine un lieu
dans le rêve. Mais ce lieu n’a pas
de seuil.

Qu’est-ce que c’est ?
Nous ne le savons pas. Nous voulons
comprendre. Nous bâtissons
à mains nues, la blessure
qui nous sert de seuil.
Dans la chair, cela entre
cela devient nous, cela parle.
Parole :
voilà, peut-être, ce que c’est
– une parole, un souffle, un cri

– ô pur instant sans lieu et sans espace –
vibrant sur les fondations de la blessure
sans chair de la Disparition.

Alain Suied, Laisser partir, Arfuyen, 2007, p. 56

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Chant du soir


Le soir, quand nous allons par les sentiers obscurs,
Se lèvent devant nous nos formes blêmes.

Quand la soif nous saisit,
Nous buvons les eaux pâles de l’étang,
La douceur de notre triste enfance.

Las à mourir, nous reposons sous l’arche d’un sureau,
Les yeux au vol des mouettes grises.

Des nuages de printemps montent sur la sombre ville
Qui tait les temps plus illustres des moines.

Quand j’ai pris tes mains étroites dans les miennes,
Tu ouvris doucement tes yeux immenses.
Tout est passé depuis longtemps.

Mais quand l’âme est visitée d’une harmonie obscure
Tu apparais à l’ami, toute blanche dans son paysage automnal.

Georg Trakl, Vingt-quatre poèmes, préface et traduction de Gustave Roud, avant-propos de Philippe Jaccottet, La Délirante, 1978, p. 20.

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Pluie.
C’est les doigts dans la bouche, le jour, la venue du bleu. Scansion des couleurs supposées. Le voyage ne sera pas. Il prépare & jette bas. Le dehors n’a jamais été si clair. La terre se fond dans la rumeur du paysage, là où ça commence, là où la voix se délabre. Fragments d’un sol tapissé de larmes, quelque chose d’infime trouble les racines.
La respiration est un aveu



Pluie.
C’est une douceur chuchotée qui contient une langue acharnée de millénaires. Obscure bouche fendue par un rêve sans âge. Qui sait où s’arrache le futur de toutes respirations... qui sait avec quelles imprévisibles images le cœur est lié au vivant... Ce qui trame les yeux...
Il y a un chant, un parfum, un visage & la main qui, ailleurs, lisse une tombe muette.

Claude Chambard, le chemin vers la cabane, Le Bleu du ciel, 2008, pp. 41, 42

pluie2

Remembrance

Une maison évanouie que j’ai connue pendant une heure
Par quelque hasard oublié, tout jeune encore,
Jetait des lueurs par une fenêtre surmontée
D’un chèvrefeuille humide de la rosée du soir.
De grands dahlias bordaient obscurément l’allée,
Des hortensias palpaient l’ombre et se balançaient
Férocement ; et au-dessus de moi, parmi
Les phalènes et les mystères, volait, floue, une chauve-souris.


Quelque part au-dedans, de confuses présences
Flottaient : journées fantômes, années qui n’étaient plus.
J’attendais. Entre leurs silences
Un bruit fané, évanescent, se fit entendre ;
Et, bien qu’enfant, je sus qu’il trahissait la voix
De quelqu’un qui était occupé à mourir.

Edwin Arlington Robinson, dans Pierre Leyris, Esquisse d’une anthologie de la poésie américaine du xixe siècle, édition bilingue, Gallimard, 1995, p. 419 et 418.

myst_re

J'aurais voulu comme les chevaliers
couverts de fer parcourir à cheval
les contrées sans culture grandes landes
où le pas de la bête est amorti dans l'herbe
où le regard s'égare sans entrave
enfourché sur la peau de l'animal
avec entre mes cuisses son pelage


Allant à travers ces landes bourrues
j'avançais sans savoir pourquoi j'allais
dans cette espèce de midi perpétuel
fait de soleil fraîchi de faible brise
et de bruit de feuillage remué
et d'herbe couchée et de gros cailloux
roulés par le sabot de la monture

William Cliff, Épopées, Editions de La Table ronde (Collection l'usage des jours animée par Jean-Claude Pirotte), 2008, p. 109.

Chevalier_franc_1185___1205

I/l’horizon chimérique/V

Vaisseaux, nous vous aurons aimés en pure perte ;
Le dernier de vous tous est parti sur la mer.
Le couchant emporta tant de voiles ouvertes
Que ce port et mon coeur sont à jamais déserts.

La mer vous a rendus à votre destinée,
Au-delà du rivage où s'arrêtent nos pas.
Nous ne pouvions garder vos âmes enchaînées ;
Il vous faut des lointains que je ne connais pas.

Je suis de ceux dont les désirs sont sur la terre.
Le souffle qui vous grise emplit mon coeur d'effroi,
Mais votre appel, au fond des soirs, me désespère,
Car j'ai de grands départs inassouvis en moi.

Jean de La Ville de Mirmont, L’Horizon chimérique, Grasset, 2008, p. 27


galion


Ne parle pas de noir
le noir est une couleur qui voit
matière intense et désirante
pointe d’un diamant
attirant vers la densité
de la profondeur

Parle plutôt de la transparence aveugle
de la glu du vide

Le trou serait un cube de murs blancs
une sphère de miroirs
où l’ombre tourne
et quête une goutte de sang
sur des reflets de nuage...

Claire Malroux, Ni si lointain, Le Castor Astral, 2004, p. 38

sang

>> http://poezibao.typepad.com/

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